Après-moustique

Après-moustique

Je me souviens d’un moustique tigre qui s’était échappé du zoo pour m’attaquer les mollets. Je me souviens d’une spirale verte qui a brûlé pendant quatre heures alors que ma nuit en a duré six. Je me souviens des autoclaques sur les oreilles en pleine obscurité. Je me souviens des escadrons au crépuscule et des bataillons à l’aube. Je me souviens de ce vol si reconnaissable qui s’apparente à celui d’un moucheron bourré. Je me souviens d’une nuit blanche qui a fini par une tache rouge sur un mur. Je me souviens de mes jambes de dalmatien. Je me souviens des remèdes de ma tante, parce que ma grand-mère n’était plus. Je me souviens de trente yogis qui sentaient fort la citronnelle et autant de moustiques qui s’en moquaient. Je me souviens des mensonges de l’homéopathie, des ultrasons, des patchs et des bracelets. Je me souviens d’un vêtement imprégné et moi, niais dans un pré. Je me souviens des larves qui se tortillaient d’impatience dans l’eau stagnante. Je me souviens de moustiquaires avec des trous et d’autres trop petits pour le lit. Je me souviens avoir renversé du DEET qui a fait cloquer la peinture du meuble. Je me souviens du cargo qui n’était pas venu réapprovisionner l’île en répulsif. Je me souviens de sulfateuses qui bourdonnaient tôt le matin dans les jardins de l’hôtel. Je me souviens du vol d’énormes cafards qui me faisait regretter celui des frêles anophèles. Je me souviens des lampes à huile si bucoliques qui devaient éloigner les éléphants et pas les insectes. Je me souviens de la boîte de Malarone® inutilisée. Je me souviens de ce flacon d’Anti Brumm® FORTE condamné à l’aéroport parce qu’il contenait cent vingt-cinq millilitres. Je me souviens de l’alerte de dengue trois rues plus loin. Je me souviens des blagues douteuses sur le chikungunya et les restaurants — en fait, je ne m’en souviens pas. Je me souviens, par contre, me gratter. Je me souviens me gratter encore alors que les stewards et stewardesses désinfectaient la cabine de l’avion du retour. Je me souviens gratter autour pour ne pas croûter au centre. Je me souviens en avoir soupé de me démanger. Je me souviens vouloir lâcher prise et ne pas y arriver. Je me souviens enfin qu’après l’après-moustique, il ne faut pas se gratter la fierté de la même main.